Rencontre avec Simon Gronowski

Ce mardi 15 novembre 2022, nous avons eu la chance de rencontrer Simon Gronowski lors d’une conférence organisée par le Collège. Partager cette expérience, c’est quasiment un devoir. Son message et les valeurs qu’il cherche à transmettre touchent notre humanité, ce qui nous relie tous. Chaque personne a son degré de sensibilité mais je pense que durant cette conférence, nous nous sommes tous sentis concernés.

Simon Gronowski est une des rares personnes qui a réussi à échapper à la déportation dans un des camps de concentration les plus tristement célèbres de la deuxième guerre mondiale : Auschwitz Birkenau. 

Le début de la conférence est captivant : personne ne pourrait ne serait-ce que penser à discuter avec son voisin au lieu d’écouter, le silence est total, malgré le nombre de participants. Simon ne commence pas tout de suite à parler de son expérience personnelle mais par nous contextualiser la deuxième guerre mondiale. Le choix des mots est dur mais juste, on se sent tous immédiatement concernés par son récit. Il parle d’Adolphe Hitler en utilisant le mot « criminel » et de ses agissements en utilisant le mot « crime ». Ces mots résonnent dans la salle et l’émotion se lit déjà sur tous les visages. Il commence alors à nous raconter son histoire, le regard tantôt posé sur nous, tantôt perdu dans le vague, dans ses souvenirs. 

Simon est né le 12 octobre 1931 à Bruxelles. Il naît dans une famille simple et aimante. Son père est polonais, venu en Belgique pour espérer trouver du travail mais surtout pour fuir la vague d’antisémitisme que subissent les pays de l’Est après la première guerre mondiale. Son arrivée en Belgique se fera clandestinement mais il aura rapidement des papiers d’identité belges, grâce au système de l’époque. Malheureusement, à l’époque, la Belgique n’avait pas vraiment plus de travail à offrir que la Pologne. Le père de Simon n’a donc pas d’autre choix que d’aller travailler à la mine, là où il attrapera la silicose, une maladie des poumons très fréquente chez les mineurs. Malgré ça, Simon décrit son père comme un poète, un homme de lettres peu concerné par les enjeux politiques, ce qui endormira sa vigilance vis-à-vis de la montée du nazisme et des prémices de la seconde guerre mondiale. 

Simon nous raconte son enfance dans les rues de Bruxelles mais surtout comme jeune louveteau, dans la forêt de Soignes. Jeune garçon, il adorait les scouts ce qui le rendra très débrouillard, mais il développe aussi un grand amour pour la musique et la littérature au contact de sa grande sœur, Ita. La contextualisation avec des lieux dans lesquels nous nous rendons régulièrement est vraiment marquante, savoir que là où on peut trouver aujourd’hui tel ou tel magasin, des crimes ont été commis, des personnes torturées, des personnes traquées, dont Simon, ont habité, se sont cachées, espérant échapper à la barbarie nazie.

Le 10 mai 1940, après avoir conquis une bonne partie des pays de l’Est, l’Allemagne nazie continue sa course pour la conquête de l’Europe en s’attaquant à la France, la Hollande et finalement à la Belgique. À partir de ce moment-là, les choses ne vont faire qu’empirer pour la famille Gronowski ainsi que pour toutes les populations marginalisées des pays sous occupation. Des registres sont mis en place pour répertorier les juifs, les musulmans, les expatriés (…) et sont ensuite transmis à la Gestapo. Les juifs se voient interdire de plus en plus de choses : le droit de travailler, d’aller à l’école, d’aller dans certains endroits, etc. Ils seront aussi forcés de porter l’étoile jaune, et pourtant, ce n’est que le début de la marginalisation et de la discrimination qui feront des millions de morts. 

Bien qu’assez tardivement, la famille Gronowski finit par s’installer dans un petit appartement de Woluwe Saint-Lambert pour se faire plus discrète. Ils vécurent là pendant six mois mais finiront par se faire dénoncer et arrêter six mois plus tard par la Gestapo. Aujourd’hui encore, on ne sait pas qui a dénoncé Simon et sa famille. Malheureusement, c’est très loin d’être un cas unique. Partout où ils sont passés, les nazis ont toujours rencontré des sympathisants.

Au moment de leur arrestation, Simon, sa mère et sa sœur sont envoyés au siège de la Gestapo, avenue Louise, où ils passeront la nuit dans les caves avant d’être transférés à Malines, à la caserne Dossin. Son père ne sera jamais déporté car il était à l’hôpital pour traiter sa silicose pendant la rafle qui emporta sa famille.  

Pendant un mois, c’est avec des centaines de personnes que Simon, sa mère et sa sœur devront cohabiter. Les conditions de vie et l’hygiène étaient réduites à leur minimum. 

Le 18 avril 1943, les portes de la caserne s’ouvrent enfin. Mais ce n’est pas la liberté qui les attend, bien au contraire. Simon nous raconte la séparation avec sa sœur qui, ayant plus de 16 ans, a donc officiellement la nationalité belge et ne peut donc pas être déportée, en tout cas à l’époque. Il nous raconte la panique de ces centaines de personnes chargées dans un train à bétail par les hommes de la Gestapo, sans aucune information sur ce que l’avenir leur réservait. Dans ce convoi, le 20convoi, 1600 personnes s’entassent au nombre de 50 personnes par wagon. Parmi elles, 250 enfants. Pour expliquer cette quantité d’enfants déportés, Simon nous dit ceci : « Ils ont tués les enfants car ce qu’ils voulaient, c’était faire un génocide. Et tuer les enfants, l’avenir d’un peuple, c’est tuer ce peuple». 

Ce train ne bougera pas de la journée, en attente de la nuit pour dissimuler ces crimes, car à l’époque, les déportations se faisaient dans le secret car on craignait encore la réaction des belges, connus pour leur résistance face à l’occupation pendant la première guerre mondiale. Le train partira donc à la tombée de la nuit pour un long trajet avec comme destination le camp de concentration d’Auschwitz.

Si Simon était arrivé à Auschwitz, il aurait connu le même sort que des centaines d’autres enfants de moins de seize ans ; il aurait été directement envoyé dans une chambre à gaz. Mais ce jour-là, trois jeunes résistants changent le cours de sa vie. Youra Livchitz, Robert Maistriau et Jean Franklemon tentent d’arrêter le train pour essayer de libérer le plus grand nombre de déportés possible. Alors que le train n’est pas encore tout à fait arrêté et, galvanisés par les échanges de coups de feu, des déportés du même wagon que Simon et sa mère parviennent à ouvrir la porte de l’intérieur. Plusieurs personnes sautent du train et la mère de Simon parvient à lui frayer un passage parmi les déportés. Elle le fait avancer sur le marchepied et alors qu’il refuse d’abord de sauter, ils échangent un dernier regard avant qu’elle ne le pousse du train, lui sauvant ainsi la vie. 

Cette action, c’est celle qui a inspiré l’opéra de Howard Moody jusqu’à son titre « PUSH », racontant l’histoire de Simon Gronowski. Simon décrit ce geste comme un geste maternel, « il n’y a qu’une mère pour agir comme ça ». Le geste en soi, bien que marquant, le serait beaucoup moins sans l’explication que Simon nous a donnée ensuite. Sa mère ne l’a pas suivi. Elle n’a pas sauté. Ce n’était ni un problème de temps, ni de vitesse, c’était le raisonnement logique d’une mère qui voulait savoir que son fils allait survivre. En effet, elle avait une bonne quarantaine d’années et courait bien moins vite qu’un jeune scout de 11 ans, et même si elle arrivait à le suivre, elle passerait bien moins inaperçue au moment de se cacher. Elle fit donc ce choix, sacrifiant ainsi sa vie pour celle de son fils. Simon finit par s’enfuir, seul dans la nuit. 

Il courut toute la nuit sans jamais s’arrêter, se pensant poursuivi pendant plusieurs kilomètres. Quand il arriva jusqu’à un village dans le Limbourg, il s’adressa aux habitants en disant simplement qu’il s’était perdu. On le renvoya alors chez un gendarme belge habitant le village : Jean Aerts. Lui et sa femme vont d’abord accueillir Simon sans connaitre son histoire. Mais même par la suite, sachant ce qui lui est arrivé, ils continueront de l’aider en lui donnant de la nourriture, de beaux vêtements et en l’accompagnant même à la gare pour qu’il puisse retourner à Bruxelles. Cela peut paraître « normal » ou même pas grand-chose mais dans le contexte de l’époque, ce gendarme venait de risquer sa vie, voir celle de sa famille pour aider Simon. « Un héro » dit Simon.

Le 20 avril 1943, Simon et son père se retrouvent enfin grâce à des amis scouts qui les aideront aussi à se cacher pendant les 17 mois qui les séparent encore de la fin de la guerre. Pour leur sécurité, ils seront séparés et accueillis par des familles chrétiennes qui refusaient de se plier aux diktats des nazis. Ces longs mois d’incertitude furent pour Simon marqués par la peur, celle de se faire reprendre et d’être définitivement envoyé dans un camp… Cela hantait ses cauchemars chaque nuit. C’est aussi une attente longue et douloureuse. Simon nous explique même avoir reçu des lettres de sa sœur envoyées avant son déportement le 13 septembre 1943. « Dans ses lettres, elle demandait qu’on lui envoie des vêtements chauds pour l’hiver, comme si elle allait passer l’hiver » dit Simon. À ce moment-là, Simon et son père pensaient que sa mère et sa sœur reviendraient à la fin de la guerre. Mais ils espéraient leur retour alors même qu’elles étaient déjà mortes…

Simon nous raconte même avoir prier pour qu’elles reviennent. Il priait alors selon les codes du judaïsme mais aussi selon ceux du christianisme, et ce plusieurs fois par jour, se disant que plus il priait, plus il avait de chances de revoir sa mère et sa sœur. À l’époque, sa confiance en Dieu était totale. Il nous explique qu’aujourd’hui il se considère athée, qu’il a perdu la foi. Selon lui, aucun Dieu n’aurait pu permettre de telles atrocités. 

Le 4 septembre 1944, la Belgique est libérée. L’esprit populaire est à la fête et Simon et son père peuvent enfin sortir de la clandestinité pour se retrouver. Ils vont encore espérer voir revenir le reste de leur famille, pendant un temps. Quand ils comprirent qu’elles ne reviendraient pas, le père de Simon tomba dans une profonde dépression et ne s’en remit jamais. Il en mourra le 9 juillet 1945. 

À 13 ans, Simon se retrouva alors seul. 

Jusqu’à ses seize ans, il vécut dans des familles d’accueil, avant de pouvoir vivre dans l’ancienne maison de sa famille. Il loua même des parties de la maison pour pouvoir payer ses études. À 23 ans, il obtient un doctorat suite à ses études de droit et devient avocat. Il continua ainsi sa vie pendant près de soixante ans sans parler de ce qu’il avait vécu. Bien sûr, ses proches étaient au courant mais seulement des grandes lignes. Ce n’était pas quelque chose dont on parlait, comme une sorte de tabou. Il était un « cas parmi d’autres ». Il voulait vivre dans le présent et pour le futur, pas dans le passé et il ne voulait pas faire face à cette culpabilité du survivant qui le rongeait à chaque fois qu’il y pensait. 

Mais ce n’est pas pour autant qu’il oublie le passé. Après soixante ans passés à taire son histoire, de plus en plus de gens commencèrent à lui dire, non pas qu’il devrait, mais qu’il devait raconter son histoire. En tant que survivant, il se devait de raconter son histoire pour qu’on se rende compte que ces choses avaient existé, qu’elles ne sont pas seulement les pages d’un cours d’histoire. Il devait aider les gens à opérer un devoir de mémoire, pour que ce qu’on qualifie aujourd’hui de crime contre l’humanité ne soit plus jamais répété dans le futur. Et c’est ce qu’il a fait. 

Encouragé par un historien, un éditeur et par ses proches, il commença à écrire un livre autobiographique : « L’enfant du 20e convoi ». Ce livre mit son histoire en lumière et il ne tarda pas à être contacté pour des conférences, des interviews etc. Cette nouvelle exposition médiatique lui permit de faire des rencontres bouleversantes comme celle des descendants de la famille du gendarme qui l’avait aidé, des familles qui l’avaient caché mais surtout de Koenraad Tinel. Le père de Koenraad était un fanatique d’Hitler et est resté convaincu de la justesse de l’idéologie nazie jusqu’à sa mort. En grandissant, Koenraad s’est très vite détourné de cette idéologie avec laquelle il a grandi, sachant bien que son père était dans l’erreur. Dans sa jeunesse, il participa à des programmes d’éducation pour les jeunes du régime hitlérien avec son grand frère. Au vu de son âge, son frère fut enrôlé dans l’armée des Waffen SS et fut même le geôlier de Simon pendant qu’il était à la caserne de Malines. Cette rencontre fut remplie d’émotions et Simon pardonna à cet homme qui était indirectement responsable de ce qui avait bouleversé sa vie. Ce pardon leur fit du bien à tous les deux, les libérant de cette culpabilité malsaine. Après ça, Simon et Koenraad devinrent amis, ils écrivirent même un livre ensemble : « Ni victime ni coupable, enfin libérés ».

Et c’est exactement le message que Simon Gronowski veut transmettre auprès des gens mais surtout des jeunes. En faisant toutes ces conférences dans les écoles, en racontant son histoire, il ne cherche pas la pitié et encore moins à provoquer la colère envers les nazis ou même envers Hitler. Il vient devant nous avec un message de paix et d’espoir pour l’avenir. Il nous dit que malgré ce qu’on peut voir à la télé ou entendre aux informations, il faut croire en son prochain et en la bonté de l’humanité car le jour où on cessera d’y croire, ce jour-là ce sera vraiment fini. 

C’est cette manière d’en parler, cette façon d’aborder les choses qui m’a vraiment marqué. Il explique qu’il n’a jamais ressenti de haine ou de colère vis-à-vis de ce qui s’est passé, de la tristesse d’avoir perdu ses proches et pour toutes ces familles brisées par l’œuvre d’Adolphe Hitler, mais jamais de haine. C’est ce calme avec lequel il nous raconte son histoire qui m’a fait monter les larmes aux yeux. 

Il prend le temps de nous regarder tous dans les yeux pour nous dire qu’il croit en nous et qu’il compte sur nous pour que des horreurs comme celles qui ont eues lieu pendant la seconde guerre mondiale ne viennent plus jamais entacher l’histoire de l’humanité. On sait alors qu’on a une forme de responsabilité, même au plus petit niveau, sur ce qui arrivera dans le futur, pour honorer ce devoir de mémoire qui nous concerne tous. 

Simon Gronowski finit son témoignage avec cette phrase : « Vive la paix et l’amitié entre les hommes », qui suscitera une dernière vague d’émotion parmi le public et clôturera cette conférence sous les applaudissements du public à présent debout, pour rendre hommage à Simon Gronowski.

Maëlle