Confinement…

Vous, humains qui entendez ceci, ou extraterrestres qui avez retrouvé ce témoignage bien après notre existence, il y a de cela 4 semaines et 4 jours, nous nous sommes cloîtrés chez nous. Nous y sommes obligés. 

 

Mes chers amis, mes chers parents, mes chers partenaires de confinement, comme c’est dur pour nous tous. Pauvre de nos vies, nous qui ne pouvons plus y goûter. Fini les sorties entre potes, les ksaar à gogo, les restaurants sporadiques avec la famille. En parlant de famille, quelle tragédie qui nous est ainsi tombée dessus. Devoir supporter les membres de sa famille, ces gens du même sang que nous, en permanence, c’est épuisant. Probablement le pire aspect du confinement. C’est vrai quoi. Je suis sûre que vous pensez la même chose que moi. 

Oui, oui c’est juste, je ne pense pas aux familles de réfugiés qui sont séparées lors de leur périple jusqu’à un pays plus sûr, parfois définitivement et qui ne rêvent que d’une chose c’est avoir la chance de passer du temps en famille. Je ne pense pas aux gens qui viennent de perdre une personne du même sang qu’eux et qui ne rêvent que d’une chose, c’est passer du temps en famille. Je ne pense pas aux catastrophes naturelles qui cassent l’équilibre d’un ménage et à ces gens qui ne rêvent que d’une chose, c’est passer du temps en famille. Je ne pense pas à la guerre, à la peur de mourir sans les siens, à la souffrance engendrée par la solitude et le manque de ses parents ou frères et sœurs. Je ne pense tout simplement pas à ceux qui ne rêvent que d’une chose, c’est passer du temps en famille. 

 

Et puis alors, je n’ose même pas parler de notre nourriture. Dorénavant, nous nous contentons des repas que nous prépare notre mère. J’ai déjà vécu pire mais je commence à en avoir assez de ces “petits plats concoctés avec amour par la génitrice”. Quand je repense à mon endroit préféré sur terre, le O’Tacos ou mon refuge quand je suis triste, le Quick, je deviens nostalgique. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Je ne peux m’en empêcher. Ces endroits me manquent tant. Une chance que je survive mais j’étais à deux doigts de craquer. Heureusement que Uber Eats et Deliveroo existent. D’ailleurs c’est si beau de voir ces deux entreprises éthiques se développer. Le reste de l’HO.RE.CA n’a qu’à se débrouiller. Les commerces ainsi que cette branche du secteur tertiaire ont été contraints de fermer temporairement. Indépendant ou employé, ici on adopte une philosophie “chacun pour sa pomme”. Ma mère qui est restauratrice et beaucoup d’autres sont donc en chômage technique. Hélas, elle a encore plus de temps pour nous préparer de quoi manger et l’excuse du traiteur tombe à l’eau… L’espace d’une seconde j’ai eu peur des conséquences économiques que le confinement aurait sur le pays. Et puis la seconde d’après j’ai réalisé que ce n’était pas mon problème. 

Oui, oui c’est juste, je ne pense pas à ces 821 millions d’humains qui meurent de faim ni à cet enfant sur trois qui souffre de malnutrition. C’était déjà le cas avant le confinement, pourquoi j’en aurais conscience et en culpabiliserais maintenant ? Je ne pense pas à ces chiffres parce que ce ne sont que des chiffres, et surtout parce que je dois me concentrer sur mon dur périple au Carrefour. A l’approche de cette aventure, j’ai à chaque minute un peu plus peur de mettre ma vie en jeu. Est-ce que vous mesurez bien la gravité de la chose ? De plus, je risque de ne pas trouver mon bonheur. Le magasin risque de manquer de biscuits et si je n’ai qu’un paquet de cookies plutôt que deux, je ne sais vraiment pas ce que je vais faire. Vous comprenez maintenant pourquoi je n’ai pas le temps de penser à ceux qui souffrent de la famine ? 

 

Parmi toutes les difficultés auxquelles nous sommes obligés de faire face, il y a tout de même une bonne nouvelle. Roulement de tambours, bien sûr nous sommes en “congé scolaire” et personnellement, je ne regrette pas du tout mon école, ce milieu anxiogène et cruel. Peut-être que finalement, ce confinement est une bonne chose. Il y a quand même un détail qui m’énerve profondément, c’est que les profs ne nous laissent pas tranquilles. Des devoirs, des travaux cotés, des interros sur Smartschool, des cours en live. Ostensiblement, tous les moyens sont bons pour nous mener la vie dure. 

Oui, oui c’est juste. Je ne pense pas à tous ces enfants qui ont déjà tout perdu à cause des conflits dans leurs pays et qui souhaitent plus que tout retourner en cours. Je ne pense pas aux 750 millions d’analphabètes pour qui la vie serait meilleure avec un minimum d’éducation mais qui n’ont pas cette opportunité. Je ne pense pas aux associations et ONG qui se battent pour l’éducation du maximum de personnes possibles. Ce que je sais, c’est que tant que l’école ne fait plus partie de ma vie, j’arrive à supporter le confinement. 

 

Tout ça pour en venir au plus dramatique. Mes amis. Je pleure chaque seconde lors de mon ennui, je parcoure ma galerie photos, je suis en appel toute la journée, mais rien n’y fait, j’ai envie de mourir. Ma vie sociale est terminée, le contact humain me manque. Je ne sais pas comment je vais tenir jusqu’au bout du confinement. 

Ça me fait penser à ce livre que j’ai lu un jour : “Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre” de Ruta Sepetys. Très triste comme bouquin. Il raconte l’histoire d’une famille lituanienne qui a eu le malheur de vivre en 1941 pendant le régime stalinien. Ils ont été déportés en Sibérie et travaillaient tous les jours dans le froid glacial, avec une miche de pain par jour pour survivre. Mais là n’est pas le pire, comme vous avez pu le comprendre les enfants ne voyaient plus leurs amis. Je n’ose pas imaginer comment ils s’en sont sortis. Je ne pense pas non plus à ce genre de scénarios, je préfère me lamenter sur le fait que mes amis en parfaite santé et en sécurité chez eux me manquent. 

 

On se sent si seuls pendant ce confinement n’est-ce pas ? J’ai du mal à accepter l’idée que ça va encore durer au moins deux semaines voire trois. J’ai déjà commencé ma dépression mais quand le gouvernement a annoncé une possibilité de prolongement du confinement jusqu’au 3 mai, j’ai bien failli m’évanouir.

Oui, oui c’est juste, je ne pense pas aux nombreux SDF qui sillonnent les rues vides. S’ils vivent pendant l’année, c’est grâce aux passants qui les aident, mais s’il n’y a plus personne, qui va le faire ? Et bien certainement pas moi. De toute façon, ils sont probablement déjà tous condamnés. 

 

Pourquoi on est confinés déjà ? Ah oui juste, le corona virus. Tout est de la faute de cette maudite maladie, ou plutôt devrais-je dire à cause de ce crétin de chintok qui a bouffé une putain de chauve-souris. Oui c’est ce que tout le monde dit. J’ai tout de même lu un article sur internet comme quoi il y a une autre hypothèse. Certains pensent que la propagation du virus est due à la déforestation et donc à la perturbation de l’écosystème qui pousse plusieurs espèces à se déplacer. On parle ainsi du pangolin, animal le plus braconné au monde, plus que l’éléphant, le tigre et le rhinocéros réunis. Ce qui fait un gros chiffre tout de même. Les chinois achètent une quantité énorme de pangolins pour leurs écailles réputées pour leurs vertus médicinales et devinez quoi, l’un des lieux réservés à cet import est Wuhan. Mais bon, comme tout le monde le sait, il ne faut pas croire tout ce qu’on lit sur les réseaux. 

Heureusement qu’aucun de mes proches n’a été touché par ce vilain virus. Je ne sais pas comment j’aurais réagi. Je suis un peu empathique et compatissante quand je pense aux gens que ça touche. Toute cette histoire de confinement et de covid-19 ne me concerne pas finalement. Tant mieux parce que vu les symptômes et le taux de morts, je n’aimerais pas être concernée. 

Des scientifiques parlent de plusieurs effets bénéfiques qu’a le corona virus sur le pays, enfin surtout le fait que toute activité humaine fonctionne soit au ralenti, soit s’est terrie. Ils parlent notamment de la pollution dont l’intensité a fortement diminué depuis le début du confinement. C’est vrai que quand je sors de la maison, l’air est beaucoup plus respirable et plus pur. Dommage que tout le monde n’en profite pas. Mais de toute manière, il est inutile de se leurrer, dès que la vie reprendra son cours, la pollution en fera de même. Des chercheurs ont également remarqué un repeuplement des endroits urbains par les animaux qui avaient déserté depuis longtemps. Les dauphins reviennent nager dans les ports de Sardaigne, les poissons profitent des eaux propres de Venise, il y a même des biches qui visitent la ville. C’est bien mignon tout ça, mais ils vont vite se rendre compte que ces endroits ne font pas office de Blanche Neige. J’ai tout de même remarqué un autre point positif à la situation actuelle. Les gens font preuve d’une solidarité à en écœurer. Les applaudissements à 20h, les initiatives de distribution de nourriture pour les personnes en situation de handicap, le soutien aux producteurs locaux. Il y a quand même un peu d’humanité chez les humains. 

Evidemment, comme s’il n’y avait pas encore assez d’inconvénients à cette situation, certains animaux souffrent du manque de tourisme. Ils étaient devenus dépendants de l’humain et en sont maintenant privés. Les réserves naturelles et les zoos qui se servaient du tourisme pour les faire vivre ainsi que les animaux sont très embêtés, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. C’est regrettable (mais pas au point que je ne puisse plus aller manger au Makisu). 

Tout ceci me fait bien rire. Observons l’ironie de la situation. Le pays entier est confiné, ce qui est essentiel pour endiguer la propagation du virus. Mais le nombre de cas ne cesse de se multiplier. Une erreur du gouvernement ou un manque de bol auprès du karma ? Je vote pour l’option gouvernement. Si toi qui lit ce texte, connaît quelqu’un qui a été testé, tu fais partie des rares élus connaissant le dépistage. Je veux bien coopérer mais quand le gouvernement foire, il foire. Inutile de se mentir. Les pays qui ont réussi à se débarrasser le plus efficacement du virus ou qui sont en train de le faire, ont clairement mis en place des dépistages à profusion. 

 

Cher lecteur, chère lectrice, cher extraterrestre, j’ai dit beaucoup de merde dans ce texte et j’espère que tu ne m’en veux pas trop. Je voulais te faire culpabiliser. Pourquoi ? Au fond tu connais déjà la réponse. Le monde entier s’est arrêté de bouger et depuis cet instant certaines situations s’améliorent, des prises de conscience sont réalisées, des actes de solidarité sont mis en place. Tu te souviens de l’hypothèse sur le pangolin ? Je te rafraîchis la mémoire : elle dit que c’est de la faute de l’homme lui-même si le virus est arrivé parce que l’humain déforeste, l’humain perturbe l’écosystème, l’humain fait de l’élevage intensif, l’humain pratique la monoculture, l’humain mondialise. Je ne vais pas exagérer en disant que nous sommes les seuls coupables de toutes ces morts mais je n’en pense pas moins. Si cette pandémie n’est pas de notre faute, le nombre de gens qui ont enfin pris conscience des inégalités quotidiennes en les ayant expérimentées eux-mêmes (en beaucoup plus soft, je tiens à le dire) devrait nous ouvrir les yeux. Ils ont pensé à ces élèves qui ne peuvent pas retourner à l’école sous peine de mourir, à ces familles entières vivant dans la peur chez eux à cause de la guerre, à ces enfants privés de leurs amis, à toutes les personnes mourant de faim, … tu sais aussi bien que moi que j’en passe. Pourtant, comment ne pas être sûre au fond que lorsque ce virus sera vaincu, tout reviendra à la normale ? Peut-être même pire. Une partie au fond de moi a peur de ce retour, a peur des conséquences. 

Et pour terminer sur une touche de couleur, je partage une citation d’Einstein qui dit “Nous aurons le destin que nous aurons mérité.” Qu’avons-nous mérité selon toi ? 

 

Vanina Aubry