Réquisitoire à l’égard du Réquisitoire

Mesdames, Messieurs,

Chers confrères,

Aujourd’hui, nous assistons à un procès historique. Aujourd’hui, l’Histoire est en marche, et rien ne pourra l’arrêter. Aujourd’hui, il est l’heure de mettre le Réquisitoire face à ses incohérences. Lui, qui prétend élever l’accusation au rang d’art. Lui, qui se veut maître des tribunaux, clef de voûte de notre système judiciaire. Lui, à qui, enfin, on réserve tant d’importance dans les débats politiques et la presse d’opinion. Mesdames et Messieurs, en un mot, comme en mille, je vous le dis : il n’est qu’un imposteur. 

Si un tel usurpateur a pu traverser les âges sans ne jamais être démasqué, c’est en mettant à profit la supercherie la plus simple, la plus ancienne, connue de tous les Hommes, mais toujours aussi dévastatrice : la beauté. Le Réquisitoire ambitionne l’élégance et l’esthétisme. Il les atteint, dans une certaine mesure, c’est indéniable. Cependant, une qualité aussi futile et abstraite que la beauté doit-elle nous faire oublier tant de vices ? Est-ce sensé qu’un artifice si superflu nous fasse passer à côté de l’essentiel ? En effet, Mesdames et Messieurs, il est à présent venu le temps d’oser rompre le tabou du Sacré, et le crier haut et fort : le Réquisitoire n’est rien d’autre que l’art de la Perfidie. 

La Perfidie d’un art qui voudrait nous faire croire au bien et au mal, au tout ou rien. La Perfidie d’un art dont le seul désir consiste à nous emprisonner dans un monde binaire, sans nuance, où le relativisme est un crime et l’incertitude une souffrance. La Perfidie d’un art qui, dans une tentative désespérée d’attaquer à tout prix l’une ou l’autre cause, en oublierait délibérément les bienfaits, essayerait de la présenter abusivement pernicieuse, brisant ainsi le savant mélange de qualités et de défauts qui fait l’essence de chaque aspect de la nature humaine. 

Une telle tentative, Mesdames et Messieurs, met en péril l’Humanité tout entière. Elle polarise la société, favorise les opinions extrêmes, réduisant les modérés au silence et à la vétusté. Pourtant, nous vivons dans un monde en changement perpétuel, où progressistes et conservateurs s’opposent chaque jour un peu plus, où les valeurs actuelles renient les valeurs passées. Un monde où les gens ne se comprennent plus, ne s’écoutent plus, braqués sur leurs idées, campés sur leur position. Dans un tel monde, la seule issue au conflit n’est pas l’extrémisme d’un Réquisitoire, tel que pourrait, par exemple, l’écrire un politicien quelconque à la recherche de visibilité. Au contraire, elle se situe dans la recherche d’objectivité, de nuance, de compréhension et d’acceptation. Une démarche opposée par définition à celle d’un Réquisitoire. 

Néanmoins, il y a bien plus essentiel encore. Au-delà de l’écueil sociétal qu’il représente, il se positionne en fossoyeur d’un système judiciaire égalitaire. En effet, il permet, d’après plusieurs études, aux personnes plus aisées, généralement défendues par des orateurs plus aguerris, de s’en sortir avec une condamnation moindre, à torts égaux. Dans cette dérive humaine, le Réquisitoire a une implication prépondérante, car il n’est rien de moins que l’arme employée pour assassiner toute forme d’égalité judiciaire. 

Dernièrement, au sein même des hémicycles, derniers sanctuaires où il pourrait encore avoir du sens, le Réquisitoire resplendit d’inutilité. Vous n’êtes assurément pas sans ignorer que les harangues qui y sont prononcées, par quelque politicien qu’il soit, ne sont qu’écran de fumée pour les citoyens et les électeurs. Bien souvent, les sujets traités sont discutés et clos en amont. La preuve en est : dans l’histoire moderne, a-t-on déjà vu des discours, des Réquisitoires changer l’issue d’un vote crucial ? Victor Hugo, en demandant l’abolition de la peine de mort, parlait-il à des députés neutres, ou décidés d’avance ? N’était-il finalement pas plus écouté par les bancs de l’Assemblée que par ses membres ? La vérité est aussi évidente que désolante. L’époque grecque des réunions sur la colline de la Pnyx et des votes à la Boulê est révolue. Le Réquisitoire est un outil dépassé. 

En conclusion, le Réquisitoire n’est pas, le Réquisitoire n’est plus. Je vous invite à le condamner aux livres d’Histoire et aux concours d’éloquence, et à l’empêcher immédiatement de nuire plus longtemps au bon déroulement de l’aventure humaine. 

Pierre

Bibliographie :

SPIRE A., LEJEUNE A., Inégalités sociales et judiciaires face au tribunal, dans Droit et Société, n°106, 2020, p. 517 à 526.

CARTWRIGHT M., Gouvernements en Grèce Antique, dans World History Encyclopedia en français, Site World History Encyclopedia en français, adresse URL : https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-11753/gouvernements-en-grece-antique (page consultée le 09 février 2023).