Qatar… [Partie 3]

Embourbée dans une panoplie de polémiques, la Coupe du monde au Qatar ne cesse de faire parler d’elle. Alors que le football a repris ses droits, et que le mondial a, pendant plus d’un mois, battu son plein, la rédaction de l’Âne Rouge vous propose de revenir de manière exhaustive sur les faits ayant rendu cette Coupe du Monde si controversée, et ce à travers une série d’articles, dont voici le troisième. L’objectif de celui-ci étant de décrire au mieux les rouages de la société qatarie.

Une illusoire démocratie :

D’un point de vue démocratique, le pays est loin des standards internationaux. Classé en tant que « régime autoritaire » par The Economist en 2021, la démocratie n’est, au Qatar, qu’une illusion. 

Bien que le Qatar possède diverses institutions législatives, exécutives et judiciaires, censées représenter une séparation des pouvoirs, celle-ci n’est que relative dans la mesure où dans les faits, l’émir est le personnage central du pays, plaçant des membres de sa famille aux postes clefs.

Une constitution a bel et bien été écrite en 2004, mais la mise en œuvre de celle-ci est loin d’être irréprochable. Par exemple, jusqu’en 2021, il n’y avait pas de Parlement élu, bien que cela soit prévu dans la constitution. Avant cette première élection, les députés étaient nommés par l’émir.

Les résultats de l’élection parlementaire étaient, quant à eux, fort conservateurs. Cela s’explique par des conditions de vote contraignantes. Celui-ci étant accordé à toutes les femmes et hommes de plus de 18 ans, sous certaines restrictions. Par exemple, seuls les citoyens dont la famille habite au Qatar depuis au moins 1930 étaient autorisés à voter. Compte tenu de la difficulté de remonter l’arbre généalogique d’une famille jusqu’à presque 100 ans en arrière, et de pouvoir le prouver, beaucoup de citoyens naturalisés ne purent tout simplement pas voter. De plus, les candidats se présentant à l’élection devaient être indépendants, les partis politiques étant interdits.

Ainsi, bien que la constitution décrive le pays comme démocratique, celui-ci s’apparente plus à une Monarchie 26, voire Absolue.

Les droits des femmes, vers une potentielle évolution ? :

De nombreuses lois restreignent les droits des femmes au Qatar, fixant leur place dans la société. Ainsi, la loi n°22 de 2006 promulgue un « droit de famille ». Au sein de celui-ci, les discriminations sont nombreuses pour les femmes. Celles-ci sont sous l’égide d’une « tutelle masculine », qui décide de la plupart de leurs droits tels que se marier, étudier à l’étranger, et même l’accès à certains soins de santé reproductive. Cette tutelle est exercée par un membre de la famille, ou le mari si la femme est mariée. De plus, celle-ci doit obéir et prendre soin de son époux, qui de son côté, est autorisé par la loi à avoir plusieurs femmes en même temps (7 selon le Coran, souvent 3 ou 4 dans les faits). Les mères, bien que femmes au foyer pour la plupart, ne peuvent pas exercer de droits à l’égard de leur enfant, même s’il y a divorce.

Malgré cette situation difficile, une nouvelle génération de femmes essaye de repousser les limites et les lois qui cadenassent leurs choix et leurs libertés. Leurs revendications ont mené à certaines améliorations, telles que l’obtention du droit de divorce, de possession d’un permis de conduire ou d’habitation. Les Qataries ont également à présent le droit d’ouvrir un compte bancaire. 

L’éducation est également un secteur clef, sujet à transformation, et qui témoigne de l’émancipation des femmes au Qatar. En effet, alors qu’en 1960-1961, le ratio de filles dans les écoles publiques n’étaient que de 34%, cette tendance s’est renversée au fil du temps, celles-ci devenant majoritaires. Depuis 2008, les femmes sont également celles qui s’inscrivent le plus pour suivre des études supérieures, représentant 70% des inscriptions dans les universités du Qatar. Elles sont aussi celles qui finissent le plus ces études. L’allongement de la durée des études permet aux femmes de repousser l’âge du mariage.

Cependant, même au sein du secteur de l’enseignement, des inégalités subsistent, les femmes étant souvent confrontées à une forme de ségrégation sexuelle. Elles se voient refuser l’accès à certaines études et certains métiers, et doivent demander impérativement l’autorisation de leur mari avant d’entrer sur le marché du travail. Elles restent donc minoritaires sur celui-ci. 

La scène politique est également intégralement occupée par des hommes.

Finalement, la présence de nombreux ouvriers étrangers, majoritairement masculins, influence aussi la perception sociétale des femmes. Celles-ci cherchent leur place, coincées entre deux franges de la population, à savoir les citoyens qataris et les ouvriers étrangers.

 

L’impasse du débat sur les droits des LGBTQI+ :

Le Qatar ne reconnait aucun droit à la communauté LGBTQI+. Les personnes reconnaissant appartenir à la communauté sont rares, car victimes de discriminations et de répression. Celles-ci vivent sous la crainte de violences pouvant être exercées par leurs proches. Des sources font également état de thérapies de conversion organisées dans le pays. Les rares témoignages nous parvenant de personnes ayant fait leur « coming out » au Qatar révèle une oppression sociale dégradant leur santé mentale.

Les relations entre hommes sont, quant à elles, sévèrement punies. Les rapports sexuels entre hommes sont consignés dans le chapitre « crime d’honneur » du code pénal, et peuvent engendrer des condamnations allant de 7 ans de prison à la peine capitale. 

Le pays ne reconnait ni lieu « gay friendly », ni association promouvant la communauté. Les autorités sont même allées jusqu’à interdire le concert d’un groupe, car le chanteur de celui-ci était ouvertement gay. Elles ont aussi censuré des articles du New York Times portant sur le sujet. Par ailleurs, c’est loin d’être la seule fois que les autorités ont bafoué la liberté de la presse, puisque celle-ci reste marginale, les organes de presse ne pouvant pas critiquer la gestion du pouvoir de la famille régnante.

Au Qatar, les perspectives d’avancées pour la communauté LGBTQI+ sont faibles, voire inexistantes.

 

Conclusion :

En conclusion, bien que certaines avancées soient observées concernant les droits des minorités dans le pays, celles-ci restent marginales. De plus, malgré la séparation des pouvoirs prévue par la constitution, et essentielle à toute démocratie, l’émir reste le personnage central du système politique qatari, faisant converger les pouvoirs vers lui. Tout cela mène à dire que le Qatar ne semble pas encore tout à fait engagé sur la voie de la démocratie. 

Pierre

 

 

 

Références bibliographiques :

Harding D., “I do not wish to be anonymous’: Doctor becomes “first” Qatari to publicly come out as gay”, The Independent, 19 mai 2022.

Gonzalez G., Facing human capital changes of the 21st century: education and labor market initiatives in Lebanon, Oman, Qatar, and the United Arab Emirates, Doha, Rand Qatar Policy Institute, 2008, p.43.

PIRON J., Qatar, le pays des possédants : du désert à la Coupe du Monde, Luc Pires Editions, 2022.

Article 3 de la loi n°22 de 2006 promulguant le droit de la famille, Qatar Legal Portal.

Article 58 de la loi n°22 de 2006 promulguant le droit de la famille, Qatar Legal Portal.

ROBINSON K., “What is the kafala system?”, Council of Foreign Relations, 23 mars 2021.

TROFIMOV Y., “In Quiet Revolt, Qatar Snubs Saudis with Women’s Rights”, The Wall Street Journal, 24 octobre 2002.