Avis argumenté : A-t-on encore besoin du féminisme en 2021 ?

Avertissement : cet article parle de viol et de violences sexuelles.

Le 8 mars passé, à l’occasion de la journée des droits des femmes (C’est bien la journée des droits des femmes et non la journée de la femme. Cette journée est organisée pour nous rappeler que l’on est en 2021 et qu’il reste encore du progrès à faire au niveau de l’égalité homme-femme. On préférerait se passer de cette journée. Alors les promos sur les aspirateurs et les fleurs, on s’en passe.), ma grand-mère m’a envoyé un article qui parlait de féminisme. Si cela partait sans aucun doute d’une bonne intention, j’ai été choquée en lisant l’article. Ce dernier disait, en résumé, que les féministes d’aujourd’hui sont radicales et qu’étant donné que les droits de voter, travailler, étudier, divorcer et disposer de son corps sont acquis, nous n’avons plus besoin du féminisme. L’article affirme que l’on est passé de « la dénonciation d’une inégalité en droit objective entre les hommes et les femmes jadis à l’expérience subjective aujourd’hui ». Il ajoute que les féministes exagèrent, que c’est à la justice de s’occuper des cas de viol et de violences sexuelles, que la présomption d’innocence est bafouée quand on ne remet pas en cause la parole d’une femme accusant un homme de violences.

Alors, voilà la question : A-t-on encore besoin du féminisme en 2021 ?

L’article en question : “Pour un féminisme de réconciliation avec les hommes” par Thérèse Hargot publié dans Le Figaro le 8 mars 2021.

 

La réponse me semble évidente : OUI.

On a besoin du féminisme en 2021 parce que je ne considère pas le droit de disposer de notre corps comme acquis. Un grand nombre de femmes ont peur de porter une jupe dans le métro, même quand il fait 30°C. Lorsqu’un homme est à l’aise avec sa sexualité, il est considéré comme viril tandis qu’une femme qui l’est est considérée comme une “salope” ou une “pute”, au choix. Le règlement vestimentaire de la plupart des écoles nous interdit de nous habiller comme nous le souhaitons, de disposer de nos corps comme nous l’entendons. Le corps de la femme est encore sexualisé au quotidien, partout. Alors non, le droit de disposer de nos corps n’est, à mes yeux, pas acquis.

 

On a besoin du féminisme en 2021 parce que 94 000 femmes sont victimes de viol ou de tentative de viol chaque année en France et que c’est également le cas d’une femme sur cinq en Belgique, parce que 81% des victimes de violences sexuelles déclarent avoir subi les premières violences avant l’âge de 18 ans, 51% avant 11 ans et 21% avant l’âge de 6 ans en France, parce qu’une femme sur cinq (22%) a été victime de violence physique et/ou sexuelle de la part de son partenaire ou ex-partenaire, depuis l’âge de 15 ans en Europe et parce qu’une femme sur trois est victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail en France. Mais le féminisme c’est aussi tendre l’oreille vers le reste du monde, où 700 millions de femmes ont été mariés avant 18 ans en 2016 et où plus de 4 millions de femmes ont subi des mutilations génétiques l’année passée. (Petit quizz très intéressant réalisé par le collectif NousToutes si vous voulez connaitre les chiffres : https://formdivers.typeform.com/to/CbcZCq)

Ces chiffres font peur, j’en ai conscience. Cependant, ces chiffres sont nécessaires pour comprendre l’ampleur des violences sexuelles. 

 

On a besoin du féminisme en 2021 parce que les féministes d’aujourd’hui se battent toujours contre une inégalité en droit objective entre les hommes et les femmes. Les hommes ont des privilèges que nous n’avons pas. Ils peuvent rentrer tard le soir, sans avoir peur d’être suivis, sans faire de détours pour éviter certaines rues, sans avoir la peur qui leur tord le ventre. Ils peuvent s’habiller comme bon leur semble sans avoir peur d’être sifflés, insultés, regardés de façon lubrique ou touchés sans leur consentement. Sans même parler du fait qu’un homme qui exprime son opinion avec vigueur est courageux, vigoureux alors que si une femme fait de même, c’est « une emmerdeuse » ou « une grande gueule ». Ils ne sont pas considérés comme des parias de la société s’ ils n’ont pas fondé une famille avant leurs 30 ans. Le pire dans tout ça c’est que la plupart des hommes ne se rendent même pas compte de ces privilèges.

 

On a besoin du féminisme en 2021 parce que j’estime que la justice ne fait pas son boulot ou plus précisément, le fait mal. Avec 53% des cas de viols classés sans suite en Belgique contre 80% en France, j’ai de fameux doutes concernant l’utilité de la justice en question, sans compter que 66% des témoignages de françaises ayant portées plaintes font état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre au moment du dépôt de plainte.(Chiffres pour la France, il n’y a pas de chiffres précis en Belgique.) Je pense que les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il est courant qu’on remette une partie de la faute sur la victime et qu’on ne la croie pas, particulièrement si elle était habillée court ou si elle a une réputation de « fille facile». (D’ailleurs, le terme fille facile ne devrait pas exister, il ne sert qu’à culpabiliser les femmes pour leur sexualité.) Comme s’il y avait un type de victime acceptable, alors que rien de justifie un viol, surtout pas un vêtement. Si une femme accuse un homme d’agression sexuelle ou de viol et que je décide de ne pas la croire et de prendre le parti de l’homme en question, j’ai plus de 9 chances sur 10 d’être en train de soutenir un violeur. Si je décide de croire la femme, j’ai plus de 9 chances sur 10 de soutenir une survivante.

Les chiffres ne mentent pas. Je sais quel risque je préfère prendre, à vous de décider quel risque vous préférez prendre. 

Ensuite, la présomption d’innocence. C’est un droit fondamental. Cependant, est-ce normal que les agresseurs/agresseuses « potentiel(e)s » soient innocents jusqu’à prouvés coupables alors que les victimes « potentielles » sont des menteurs/menteuses jusqu’à être prouvés honnêtes ? A ce niveau-là, ce n’est plus de la présomption d’innocence, c’est de la présomption de mensonge. Étant donné le courage dont il faut faire preuve pour briser le silence, la moindre des choses est de soutenir les victimes et de les croire. 

 

On a besoin du féminisme en 2021 parce que les femmes sont toujours payées moins que les hommes pour faire le même travail. Parce que si une fille aime les avions on va dire qu’elle deviendra hôtesse de l’air et non pas pilote. Les stéréotypes ne sont bénéfiques pour personne, quel que soit le genre. Tout le monde devrait être libre de poursuivre les rêves de son choix et de vivre sa vie comme il/elle l’entend, sans avoir à souffrir de la pression que nous met la société.

 

On a besoin du féminisme en 2021 parce que la culture du viol est toujours plus que présente dans notre société. Nous ne sommes pas informés à ce sujet. Dans l’imaginaire collectif, le violeur est un monstre qui nous saute dessus au détour d’une petite ruelle sombre, alors qu’en réalité, dans 80% des cas, le violeur est un proche de la victime et un monsieur-tout-le-monde. On a grandi dans une société où le cinéma, la musique, les médias nous font croire que si une fille portait une jupe courte « elle l’a cherché », que quand une fille dit « non », c’est qu’elle se fait désirer et que ça peut vouloir dire « oui » et qu’un baiser volé c’est romantique. On a besoin du féminisme car il nous permet de déconstruire ses idées.

 

Et, pour l’amour du ciel, comprenez enfin que le féminisme n’a rien à voir avec la haine des hommes. On sait très bien que ce ne sont pas tous les hommes, mais assez d’hommes pour qu’on doive considérer chaque homme comme une menace potentielle. C’est ça le problème.

Alors oui, je crois sincèrement que nous avons encore pleinement besoin de féminisme en 2021.

 

Elisa

Sources – Si vous voulez plus d’informations :

Une image très parlante :

https://sarahbeaulieu.me/the-enliven-project 

Les chiffres en France : 

https://www.noustoutes.org/sinformer/

Enquête NousToutes concernant les dépôts de plaintes (en France) :

https://mcusercontent.com/62287411bbad9159a4fde8959/files/77372496-6f4f-439e-a62d-def0691dacbf/Re_sultats_de_l_enque_te_PrendsMaPlainte.03.pdf 

Enquête de l’Ipsos concernant les français-e-s et les représentations sur le viol et les violences sexuelles ( se rendre à la page 10 pour les chiffres utilisés dans le troisième paragraphe) :

https://www.ipsos.com/sites/default/files/files-fr-fr/doc_associe/rapport-enquete_ipsos-amtv.pdf 

Articles sur les fausses accusations :

https://egalitaria.fr/2018/10/28/le-mythe-des-fausses-accusations-de-viol/ 

 

Les chiffres Belgique

https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/belgique-sondage-indique-violences-sexuelles-touchent-jeunes 

https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/viol/article/sondage-viol-chiffres-2020 

 

Les chiffres en Europe :

https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/les-violences-conjugales/article/chiffres-violence-conjugale 

 

Les livres : 

  • En finir avec les violences sexistes et sexuelles, Caroline de Haas, éditions Robert Laffont
  • Beyoncé est-elle féministe ? … et autres questions pour comprendre le féminisme, Margaux Collet et Raphaëlle Rémy-Leleu, First Editions
  • En finir avec la culture du viol, Noémie Renard, éditions Les Petits Matins
  • Bad feminist, Roxanne Gay, éditions Points
  • Le guide du féminisme pour les hommes et par les hommes (pour les femmes aussi :)), Michael Kaufman et Michael Kimmel, Massot Éditions

 

Les formations en ligne organisées par NousToutes de façon régulière.

Les replays juste ici : https://www.noustoutes.org/formations-lives/